1236 anno domini
L'air était pesant... sentant sang, chair et le silence des cris aussitôt étouffés dans la gorge.
C'était la treizième nuit...
Treize nuits qu'ils venaient...
Ni les jeunes Feda'is, ni les Rafiqs, ni même la poignée de Silsilas présents n'avaient réussi à arrêter leurs attaques.
Treize nuits que les hordes de Hulaqu Khan, assiégeaient les murs sacrés d'Alamût... murs ayant repoussé les hommes portant leur Dieu sur leur croix... ayant repoussé les armées bien organisées de l'empereur des Perses... et ayant maints et maints fois repoussés les crocs ensanglantés des hordes non humaines d'Hulaqu Khan...
Mais chaque fois ils revenaient... plus nombreux... plus féroces... tandis qu'un à un nous avions disparus... Disparus nos valeureux feda'is prompts à se lancer aux premières lignes de bataille... Disparus nos Rafiqs... courageux compagnons de tous les jours... Disparus les puissants Silsilas du clan... Un à un tombé... A la poussière retourné... De la terre mais pas de nos coeurs et souvenirs disparus... Seul... ma compagne, Habanya... son corps encore palpitant de non-vie dans mes bras... Son sang chaud réchauffant ce corps que la non-vie avait rafraichi depuis des centaines d'années.
Autour de moi... je sens les mouvements lestes, empreints de puissance et de férocité des hordes du Khan... Je sais que je vais... aussi... disparaître. Un sourire, sur mes lèvres diaphanes se dessine. Je mords mes lèvres... le sang coulant lentement sur ma barbe drue. Je m'approche de l'oreille de ma bien-aimée... "Je.... viens... viens mon amour... montrons-leur ce qu'est la "vraie" vie. Attends-moi encore quelques instants mon amour. Attends-moi. Je viens."
L'élégante et fine silhouette... lentement se leva... déposant son précieux fardeau à terre, se retournant pour faire face.... Le reste est.... poussière.
_____________________________________________________________
Oh ! je meurs, Horatio ; le poison puissant étreint mon souffle; je ne pourrai vivre assez pour savoir les nouvelles d'Angleterre; mais je prédis que l'élection s'abattra sur Fortinbras ; il a ma voix mourante ; raconte-lui, avec plus ou moins de détails, ce qui a provoqué... Le reste... c'est silence... (William Shakespeare, Hamlet, Acte V Scène II)
_____________________________________________________________
Ruines d'Alamût de nos jours
SAAANGGG, SAAANGGG, CROCS, POUSSIERE ET DOULEUR
Mes paupières asséchées... collées à mes orbites...
Le sang... le goût du sang frais...
Dégoulinant le long de ma gorge...
D'abord la pensée... Habanya
Puis le goût du sang frais mêlé à la boue et la terre...
Puis l'odeur de l'homme... tombé... tombé sur ma tombe... perdant son sang... mêlé à la terre... mêlé au mien...
Puis le bruit des vers, des taupes, le bruit d'un coeur qui vient d'arrêter de se battre...
Puis la douleur... la douleur de la faim... la douleur de la solitude... la douleur de la perte...
Mes mains osseuses et décharnées dans la terre s'enfoncent, écartant boue, ver, sang et douleur.....
Enfin... la vue... de la nuit étoilée...
J'étais... à moi revenu... dans ce monde qui n'était plus le mien.
La stèle posée sur ma tombe... dernier des Silsilas tombés... bascule...
Le vent nocturne m'apporte les bruits de la vie...
Le vent m'appelle...
Mon Dharma... mon destin... m'a rappellé...
Je me tourne lentement, nu, faisant face au vent, me laissant encore une fois baptisé par la nuit.
J'étais... revenu.